Les profondes mutations de nos espaces verts

Le changement climatique et la pression démographique obligent les spécialistes de la nature en ville à adapter leurs pratiques. Qu’en est-il à Vernier ?

Publié le 08 août 2024 · Mis à jour le 12 août 2024

©Nicolas Dupraz
Entièrement réaménagé, le nouveau parc de l'Étang a été inauguré en 2023. ©Nicolas Dupraz

Pendant longtemps, la nature en ville s’est limitée à une fonction ornementale. C’était l’époque des grands massifs fleuris et du gazon anglais. La valeur d’un parc se mesurait alors essentiellement à la sophistication de ses plates-bandes et à la pureté de ses pelouses. On aimait les espaces verts propres en ordre et les arbres taillés de près.

En 2024, la végétation urbaine présente un autre visage. Plus sauvage, plus variée, elle grappille petit à petit les espaces libérés d’un bitume devenu de plus en plus étouffant à la belle saison.

Si le changement s’est opéré progressivement, un tournant significatif a eu lieu au début des années 2000. Alors que la problématique du réchauffement climatique devient un sujet central dans les débats politiques et scientifiques, de nombreux spécialistes soulignent les bienfaits de la verdure entre les immeubles. Ses fonctions sont multiples : elle rafraîchit la ville, limite les effets de la pollution atmosphérique et réduit les risques d’inondation, entre autres.

À chaque surface, son entretien

Dès lors, les squares et les jardins publics ne sont plus vus uniquement comme lieu de détente ou d’ornement, mais comme partie intégrante du biotope complexe qu’est la ville. Tout l’enjeu est alors de trouver comment favoriser le développement de cette nature urbaine tout en respectant les contraintes de la vie citadine.

Avec le temps, l’approche s’affine. Fini les grandes étendues d’herbes qu’on arrose de produits sanitaires et qu’on rase en long et en large à la tondeuse à essence ! Chaque espace est désormais considéré comme un environnement particulier avec des usages spécifiques qui nécessitent des soins précis. « Une pelouse sur laquelle on joue au foot n’est pas entretenue de la même manière qu’un talus au bord de la route, qu’un parc à chien ou qu’une surface herbeuse où nous souhaitons développer la biodiversité », illustre Romain Giger, responsable des espaces verts. Cette technique dit de « l’entretien différencié » a été mise en place il y a une quinzaine d’années à Vernier. Aujourd’hui, la Commune a la fierté d’annoncer qu’elle n’utilise plus aucun produit phytosanitaire ni herbicide.

Le Bois de la Grille. ©Nicolas Dupraz
Le Bois de la Grille. ©Nicolas Dupraz

Des espaces aux multiples fonctions

La gestion des espaces verts n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. Depuis quelques années, ces derniers se retrouvent à la croisée de plusieurs enjeux importants. « Au niveau politique, nous devons sans cesse faire des arbitrages entre les différentes fonctions que ces lieux remplissent, explique Mathias Buschbeck, conseiller administratif chargé de l’environnement. Il faut à la fois favoriser les endroits propices à la biodiversité et lutter contre les îlots de chaleur, tout en veillant à réserver des espaces de loisirs. »

Si ces dilemmes animent toutes les administrations publiques, la Ville de Vernier doit composer avec une difficulté supplémentaire : la pression démographique, particulièrement forte, qui pèse sur ses écrins de verdure. Alors que la Commune compte le même nombre d’hectares d’espaces verts qu’Onex, elle totalise le double d’habitants ! Concrètement, cela veut dit que les parcs sont deux fois plus fréquentés. Les conséquences en termes d’entretien et de gestion des déchets ne sont pas négligeables.

On rajoute à cette équation le fait que la Ville de Vernier n’est de loin pas propriétaire de l’ensemble des terres comprises dans son territoire politique et que le changement climatique laisse planer de nombreux doutes sur l’évolution des essences plantées, et nous sommes pas loin de la quadrature du cercle !

Que faire alors ? « Nous procédons par essai en tenant compte des expériences des autres et en prenant soin de bien noter tout ce qu’il se passe afin de pouvoir ensuite procéder à des ajustements », répond Mathias Buschbeck, qui souligne, en se référant aux résultats d’une étude commandée récemment à ce sujet, que la Commune a déjà mis en place beaucoup de bonnes pratiques.

Le verger Au Biolay et son équipe de bénévoles. ©Nicolas Dupraz
Le verger Au Biolay et son équipe de bénévoles. ©Nicolas Dupraz

Des arbres de l’Europe de l’Est

Pour les arbres, le choix a été fait de privilégier désormais les espèces d’Europe de l’Est, soit celles habituées à un climat continental capables de résister autant à la canicule comme à un froid mordant. Des exemples ? Le micocoulier, le chêne vert, le chêne chevelu ou encore le cèdre. Au niveau des massifs, les plantes annuelles sont progressivement remplacées par des vivaces, moins gourmandes en eau. Les jardiniers réfléchissent également à mettre en place un arrosage automatique « intelligent » qui tienne compte de la météo. Quant aux pelouses, à l’exception des parcs de Balexert, Chauvet-Lullin et de la mairie, elles ne sont plus arrosées durant l’été pour limiter la consommation d’eau.

La plus grande difficulté, aujourd’hui, consiste à trouver des emplacements appropriés pour de nouvelles plantations. « La moitié de l’arbre se trouve sous nos pieds, relève Christian Bavarel, chef de projet « Nature en ville » au Service de l’environnement urbain. Or, avec le nombre toujours plus important de tuyaux posés en souterrain, la place disponible se raréfie. » « Nous travaillons actuellement sur le déplacement de certaines conduites afin de les réinstaller sous les routes, ajoute Mathias Buschbeck. L’objectif est de libérer de nouveaux espaces pour augmenter l’arborisation de notre territoire. »

Mesure pilote

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, chaque mètre carré compte. La Ville de Vernier étudie ainsi tous les espaces où l’enrobé peut être retiré au profit d’un revêtement plus frais. Dans cette perspective, le chemin De-Maisonneuve, identifié comme un îlot de chaleur important à l’échelle communale, fait actuellement l’objet d’un réaménagement intégral. Outre une végétalisation de l’axe, une mesure pilote de stockage de l’eau de pluie au pied des arbres est également testée. « On travaille sur le concept de la ville éponge », résume Mathias Buschbeck.

De plus en plus d’îlots routiers et bas d’immeubles en dur sont par ailleurs transformés en prairies sèches. Une réflexion est menée parallèlement sur l’aménagement des cours des crèches et des préaux des écoles.

Des bacs potagers ont été installés sur le toit du Gigatrium, à l'Étang. ©Greg Clement
Des bacs potagers ont été installés sur le toit du Gigatrium à l'Étang. ©Greg Clement

Haies vives, nichoirs et potagers urbains

La nécessité de végétaliser le territoire est l’occasion de repenser la nature en ville. Outre une ombre portée et une diminution des risques d’inondation, une haie peut également proposer un refuge et de la nourriture pour la faune. Les traditionnelles rangées de charmilles ont donc cédé leur place à des alignements d’espèces indigènes diversifiées et les platanes taillés en tête de chat retrouvent, dans la mesure du possible, leur forme naturelle. Pour favoriser la reproduction de certains oiseaux à Vernier, la Ville a par ailleurs installé des nichoirs en collaboration avec le Centre Ornithologique de Réadaptation (COR).

Alors que la nature en ville évolue rapidement, chaque nouvelle mesure prise doit être accompagnée d’un travail de communication. « Il faut pouvoir expliquer pourquoi on ne procède plus comme on l’a toujours fait jusqu’à maintenant », détaille Lionel Pasquier. Si une partie des informations passent encore par les canaux écrits traditionnels, la Ville de Vernier croit également à la sensibilisation sur le terrain. Diverses actions sont entreprises pour reconnecter les habitants à la terre comme la mise à disposition de bacs dans les potagers urbains, la création de vergers participatifs ou diverses animations au sein du parc animalier de l’Esplanade.

Les moutons du parc animalier de l'Esplanade. ©Nicolas Dupraz
Les moutons du parc animalier de l'Esplanade. ©Nicolas Dupraz

Service lié